FRIGOLET HISTOIRE

Au XIIe siècle :

La Révolution Française avait vidé Saint-Michel de Frigolet de toute présence religieuse. Les derniers religieux durent fuir ou furent tués. Le monastère reprendra vie en 1858 avec l'arrivée des Prémontrés.
La tradition orale rapporte bien la mention d'une charte de fondation du roi d'Arles, Conrad le Pacifique en 962... que nul n'a jamais vu. Rien de sûr avant 1133. A cette date un acte de donation des vicomtes de Boulbon parle du monastère de Frigolet qui compte 12 chanoines sous la conduite du prieur Guillaume de Loubière.


En 1176, l'évêque d'Avignon Geoffroy concède au monastère ("domus Dei") de Frigolet nouvellement construit et à son Prieur Pierre de Alvernicus, un privilège. Le noyau du monastère date encore de cette période : le cloître et l'église Saint-Michel ainsi que à côté du monastère, la petite chapelle de Notre-Dame du Bon Remède (appelée alors Notre-Dame de Frigolet "Nostra Domina de Ferigoleto").
 
Cette première tranche d'histoire s'achèvera au XIVe siècle. Le 14 décembre 1316, la bulle "Sedes Apostolica Mater" du Pape d'Avignon, Jean XXII, unit le chapitre de Frigolet à celui de la cathédrale d'Avignon avec obligation de résidence pour une partie d'entre eux. Douze chanoines résideraient au monastère. Une partie d'entre eux sera rattachée à l'église Sainte-Marthe de Tarascon, propriété de la cathédrale d'Avignon. Le Prieur de Frigolet sera le doyen de Sainte-Marthe. On parla à cette occasion des "cinq religieux blancs du monastère de Frigolet" qui durent gagner Tarascon. Lorsqu'en 1482, le roi de France Louis XI fonde à la place du prieuré, la collégiale de Sainte-Marthe, le Prieur de Frigolet reçoit le titre de Doyen de Sainte-Marthe.

La sécularisation est définitive le 24 mai 1480, ratifiée par le Pape Sixte IV. Le monastère sera abandonné jusqu'en 1635.

 

Au XVIIIe siècle :

LA TRISTE COMMISSION DES REGULIERS  1768 :  Un édit de Louis XV avait entrepris de supprimer les petites communautés pour les réunir à de plus importantes. La petite communauté de Frigolet tombait sous le coup de la loi. Devant les réactions que provoque cette initiative dans la région, l'archevêque d'Avignon, le comte de Manzi prend, le 1er janvier 1773, une ordonnance maintenant les Augustins Réformés dans leur monastère, "pour entretenir la dévotion des fidèles aux dites églises de Notre-Dame et de Saint-Michel, qui forment un sanctuaire vénérable, le seul qu'il y ait dans cette partie de notre diocèse en Provence". Ce maintien se justifie d'autant plus qu'à la suite de l'expulsion des Jésuites, en 1762, un pensionnat avait été créé à Frigolet pour l'éducation des jeunes gens de la région. 

L'EXPULSION DE LA COMMUNAUTÉ LORS DE LA RÉVOLUTION FRANCAISE 1789/1791 : Le prieuré de Saint-Michel avec toutes ses annexes et dépendances est mis en vente en plusieurs lots. Les religieux se retirent à Barbentane . L'un d'eux, repéré, fut assommé par quelques forcenés et enterré vivant. Une "citoyenne", voyant qu'il respirait encore l'acheva à coups de pierre. Plus tard, elle se rendra compte de l'énormité de son crime. Pour en implorer le pardon à Dieu, elle se rendra pendant un an et un jour, au coup de minuit et pieds nus, en pèlerinage, à la porte de la chapelle de Notre-Dame du Bon Remède, et là, elle fera à haute voix, et en sanglotant, amende honorable de sa conduite. 

LE SAUVETAGE DE LA CHAPELLE DE N.D. DU BON REMÈDE SOUS LA TERREUR 1793 :  Divers stratagèmes éviteront le pillage et le vandalisme que connurent tant d'autres lieux. Voici le récit d'un descendant de la courageuse femme qui sauva le sanctuaire de Notre-Dame du Bon Remède."Notre arrière grand'mère Chaîne habitait le mas de l'Allemand, près de Frigolet, avec un prêtre et notre arrière-grand-père. Prévenue par une personne dévouée de Tarascon que les sans-culottes se proposaient de venir piller la chapelle du Bon-Remède, elle se hâta de faire disparaître les boiseries, statues, tableaux de la chapelle sous un amoncellement de fagots d'oliviers et d'amandiers, qui montaient jusqu'à la voûte. Elle ménagea un petit espace, à l'entrée, y mit de la paille et y enfonça son âne et une chèvre. Elle brisa ensuite quelques statuettes en plâtre et en sema les débris au-devant de la porte. Elle fit cacher dans une cave son mari et le prêtre, et, pleine de courage. et de sang-froid, elle fut au-devant des sans-culottes et leur demanda ce qu'ils venaient faire. S'ils venaient pour la chapelle, elle leur annonçait que d'autres sans-culottes les avaient précédés, qu'il n'y avait plus rien, ni personne, et qu'elle en avait fait son bûcher et son écurie, que, du reste, ils pourraient en juger bientôt par eux-mêmes, mais, qu'en attendant il fallait se rafraîchir et manger un morceau, pour se reposer de leur course. Elle leur servit un copieux dîner, leur donna à boire avec abondance, parla leur langage (i.e. le français), fit même la farandole avec eux, si bien qu'à la fin du repas on parlait vaguement de la visite de la chapelle. Cependant, pour les convaincre de ses dires, elle en conduisit quelques-uns au sanctuaire, tandis que les autres continuaient à boire. Arrivés à la chapelle, la grand'mère ouvrit la porte, et ils constatèrent qu'en effet elle était pleine de bois et servait d'écurie. Devant les débris de statuettes et en face de cette transformation du sanctuaire, ils complimentèrent notre arrière-grand'mère et la traitèrent de "bonne citoyenne". (texte dû à M. E. Balby).

 

Au XIXe siècle :

Les événements et les liturgies solennelles attirent de plus en plus de monde. En 1861, une maîtrise est créée qui rehausse l'éclat des offices liturgiques. En 1860, l'archevêque d'Aix consacre le nouvel autel de la petite église romane, dédiée à saint Michel archange. L'édifice roman, quoique déjà agrandi par les Prémontrés d'une travée, se révèle très vite trop petit pour accueillir les foules, et trop simple pour la majesté du culte. Le Père Edmond entreprend donc la construction de la vaste église dont il rêvait. En trois ans, l'immense abbatiale est construite selon le goût de l'époque.
Le 6 octobre 1866, l'archevêque d'Aix, entouré de milliers de fidèles, pouvait déjà consacrer cette nouvelle église. Elle fut dédiée à l'Immaculée-Conception. C'était l'époque de la proclamation du dogme et des apparitions de Lourdes. Cet édifice enveloppe la chapelle romane de Notre-Dame du Bon-Remède.
Le 6 juin, 1869, Pie IX élève le prieuré de Frigolet au rang d'abbaye. Le Père Edmond en sera le premier abbé.

L'extraordinaire rayonnement de la Communauté de Saint-Michel de Frigolet donna naissance à plusieurs missions et fondations, bien au-delà des frontières françaises. En 1868 Mgr Lavigerie, le futur cardinal, avait fait venir à Alger une petite communauté de Frigolet. Elle démarrera l'histoire de Notre-Dame d'Afrique. Après bien des événements, Mgr Lavigerie les remplacera par la nouvelle congrégation missionnaire qu'il venait de fonder. Les fidèles de Notre-Dame d'Afrique nommeront les nouveaux missionnaires du nom donné par la population, tant provençale qu'algéroise, aux Prémontrés de Frigolet : "les Pères blancs".

L'évêque de Rodez, le cardinal Bourret, fait appel à Frigolet pour relever l'antique abbaye de Conques dans l'Aveyron. Six Prémontrés y sont installés. Ils restaurent et agrandissent les bâtiments de l'ancien monastère. L'évêque leur confie la paroisse et la garde du trésor historique de Sainte Foy "à perpétuité". Pendant les travaux de restauration du choeur de l'abbatiale romane, les Pères font la découverte des reliques de la sainte martyre. Elles avaient été emmurées au cours des guerres de Religion.

Le Père Edmond Boulbon aida Mère Marie de la Croix à installer une communauté de soeurs prémontrées à Bonlieu (Drôme ). Plusieurs autres essais ou demandes de fondations, parmi lesquels celle du roi d'Espagne qui voulait confier aux Pères l'Escorial, témoignent du prestige de Frigolet. Hélas ! Déjà l'année 1880 verra le début de quelques coups durs dont l'abbaye se relèvera difficilement.

En 1880 le gouvernement français décrète la dissolution de la communauté et lui ordonne de quitter le monastère. Le refus des Prémontrés, soutenus par les fidèles du secteur, provoquera le fameux "siège de Frigolet".

En 1882 le Père Edmond Boulbon démissionne. Il rendra l'âme à Dieu le 7 mars 1883 dans une abbaye vidée par les événements politiques. " Hier, écrit P. Xavier de Fourvières dans son journal, nous avons enterré le pauvre P. Edmond ; je suis revenu de Frigolet le coeur navré. Il n'y avait presque personne à l'enterrement..."

Après avoir été chassés de leur abbaye les religieux de Frigolet se sont dispersés pour quelques années. Un groupe se vit même offrir une maison à Storrington (West Sussex - Angleterre) par le Duc de Norfolk. Le 29 juillet 1882 ils obtiennent déjà l'autorisation de recevoir des novices. Une nouvelle fondation est née. Storrington est aujourd'hui un prieuré autonome de l'Ordre de Prémontré. Une pierre dans la façade du bâtiment rappelle que le successeur du Père Edmond, l'Abbé Paulin Boniface, posaposa "cette première pierre" du monastère.

Le siège de Frigolet : Dès la Toussaint 1880, les Provençaux étaient montés par milliers au monastère pour tenter d'éviter l'expulsion. Beaucoup d'entre eux s'enfermèrent à l'intérieur de l'abbaye, parmi lesquels Frédéric Mistral. A cette nouvelle, la Préfecture de Marseille et le Gouvernement mirent en mouvement une véritable armée contre Frigolet : gendarmerie, infanterie, cavalerie, flanquées de généraux, de préfet, de sous-préfet, de commissaire de police... En tout, près de deux mille hommes pour chasser de leur couvent une quarantaine de religieux.

L'expulsion est officiellement annoncée le 5 novembre, tandis que les troupes se déploient depuis deux jours sur la Montagnette. Ce 5, un commissaire embarrassé notifie, à travers une porte, au Père Hermann, qui représente le Père Abbé, l'arrêté d'expulsion dont il est porteur. Le Père refuse d'obtempérer. La Montagnette est alors investie par les escadrons de cavalerie et les bataillons d'infanterie, qui se déploient sur les collines en position d'attaque, sous les immenses éclats de rire de milliers de Provençaux qui chantent avec force leur fameux "Prouvençau e Catouli".

A six heures du soir, il est fait défense de traverser les lignes, d'apporter de la nourriture aux assiégés, de sortir de l'abbaye : le blocus est total.

Le 6 novembre, un capitaine du 141e régiment d'infanterie, accompagné d'un gendarme, monte demander à nouveau l'ouverture des portes de l'abbaye, on lui renouvelle le refus. La troupe cerne alors la boulangerie (aujourd'hui la Treille) et l'occupe aussitôt.

Dans l'après-midi du dimanche 7 novembre, un ballon vert est lancé par les assiégés et s'élève lentement dans le ciel, avant d'être abattu par les militaires. Mais chacun sur la Montagnette avait eu le temps de voir le signe de vie que leur adressaient les assiégés.

Sur décision du préfet, des crocheteurs montent à Frigolet, à la naissance du jour du 8 novembre, accompagnés du commissaire de police et de douze gendarmes. Ils poussaient une charrette remplie d'instruments d'escalade, de cordages, de chaînes, de haches, de massues, de poutres et de poutrelles en forme de bélier, comme si on devait prendre d'assaut une véritable forteresse !

Le commissaire fait de nouvelles sommations devant la grille de fer pour y attirer les assiégés, tandis qu'il envoie ses crocheteurs forcer une porte opposée, celle dite du "cloître". Une véritable ruse de guerre...

Entendant les coups de hache défoncer les portes, les Prémontrés se réunissent alors dans la salle du Chapitre où, après avoir violé l'entrée de l'abbaye, se présente le commissaire de police, ceint de son écharpe, chapeau sur la tête, brandissant son décret d'expulsion.

Le Père Abbé, dans cet instant poignant, lit une protestation solennelle. Devant les forces de police, ébahies et décontenancées, les Pères chantent alors l'office que personne n'ose troubler, jusqu'à ce que le Père Abbé leur donne sa dernière bénédiction.

Les scellés sont apposés sur l'église, tandis qu'éclate un violent orage et que tombe une pluie torrentielle. Agents et gendarmes font évacuer l'abbaye de tous ceux qui s'y trouvaient depuis plusieurs jours pour soutenir les Pères dans ce moment difficile.

Et, à 8 h 30, toujours sous le déluge qui tombe du ciel, les Prémontrés sont poussés dans les voitures amenées spécialement par la préfecture, puis conduits vers Tarascon, escortés de onze brigades de gendarmerie et d'un escadron de dragons, mais surtout acclamés par les foules massées tout le long du parcours et jetant des fleurs.

Pendant de long mois, l'abbaye de Frigolet fut gardée militairement.

(Extraits de documents de l'époque).